Dr Brigitte Leblanc, vétérinaire.
L’euthanasie, la « bonne mort » des philosophes de la Grèce Antique, est un sujet conflictuel dans nos sociétés occidentales : en médecine humaine, elle est interdite en France et pourtant demandée instamment dans certains cas difficiles et douloureux. En médecine vétérinaire, elle est notre quotidien mais là également et avec raison, des questions d’éthique se posent de plus en plus fréquemment. Dans un premier temps, comment la définir? L’Ordre des vétérinaires a proposé cette définition : « acte vétérinaire consistant à provoquer la mort d’un animal par voie parentérale en entraînant une perte de conscience rapide et irréversible garantissant un minimum de douleur et de détresse, réalisé conformément aux bonnes pratiques professionnelles. Le vétérinaire procède à l’euthanasie animale après avoir évalué sa nécessité et obtenu le consentement éclairé du détenteur ». Qu’en retenir ? Qu’il s’agit d’une anesthésie poussée, indolore, qu’il faut en évaluer la nécessité et obtenir le consentement du propriétaire. Elle se distingue donc de l’abattage et de la mise en mort (animaux de rente, corrida, expérimentation…) par la condition de nécessité. Mais est-elle toujours pour autant réalisée pour le bien de l’animal ?
Heureusement, la grande majorité des euthanasies se pratique avec le plein accord des trois parties, si on peut le présenter ainsi : autant le propriétaire que le vétérinaire sont conscients de la difficulté qu’a l’animal à vivre dans son état. Ceci suppose bien sûr une bonne connaissance de l’animal en général mais aussi en tant qu’individu, d’où l’importance de la communication verbale ou non entre les trois parties : l’animal, son propriétaire, et son soignant. Dans ce cas, il faut essayer de faire en sorte que l’animal ne se rende compte de rien et qu’il parte en confiance, sans souffrance ni stress. Parfois cependant, vétérinaire et propriétaire ne s’accordent pas, notamment pour ce que le praticien va considérer comme de l’acharnement thérapeutique. Il se s’agit pas de maltraitance, des soins sont donnés mais uniquement palliatifs. Le propriétaire est le décideur final car il ne faut pas oublier que l’animal est encore soumis au régime des biens. Les possibilités thérapeutiques permettent à présent de soigner mieux, longtemps, parfois trop longtemps. Les personnes parfois aspirent à la mort naturelle de leur animal, chez eux, mais cette mort est souvent idéalisée: la mort dans la nature est violente et cruelle, mais dans nos maisons les animaux peuvent souffrir de trop attendre.
Bien évidemment cependant la situation la plus problématique est celle de l’euthanasie de convenance : celle-ci peut apparaître plus ou moins justifiée pour des raisons comportementales, économiques voire d’Etat, mais elle est le plus souvent injustifiée ou encore les raisons avancées ne peuvent être considérées comme valables. Que faire à ce moment ? Le dilemme est que le client est propriétaire de son animal, il est le décideur. Le vétérinaire peut accepter ou refuser cet acte, ce qui est son droit, s’il pense que cette demande n’est pas dans l’intérêt de l’animal. La seule certitude qu’il possède alors est que la personne ne veut plus de son animal, que la raison ou les sentiments n’ont plus aucune valeur à ses yeux. Le vétérinaire va alors essayer de trouver une solution : si c’est un problème d’argent, des facilités de paiement, sinon et le plus souvent, un placement dans une association. C’est d’ailleurs souvent l’équipe vétérinaire elle-même qui prend en charge l’animal sans savoir si une association sera disponible. Cette solution est cependant un stress énorme pour l’animal, l’abandon signifie pour lui l’arrêt de tout ce qu’il a connu. Mais parfois cela même lui est refusé par son propriétaire. Alors parfois le praticien va accepter de pratiquer cet acte de mort, même si cela heurte ses principes, sa conscience car il est un soignant, pas un tueur. Ce sera parfois sous la menace et le chantage mais surtout par crainte des représailles que pourra subir l’animal : au mieux abandonné, sinon écrasé, balancé d’une voiture, tiré à vue…Chaque praticien a vécu une histoire de ce genre. Alors que faire pour éviter cette euthanasie de convenance qui s’apparente à une mise à mort puisque sans nécessité ?
L’Ordre des vétérinaires propose la création d’un comité d’évaluation pour accompagner le vétérinaire dans sa décision mais sur le terrain la solution semble difficile à mettre en œuvre : quel propriétaire désireux de se débarrasser de son animal va attendre une telle réunion ? Une solution serait peut-être de pouvoir signaler une demande d’euthanasie de convenance à une cellule dédiée de la DDPP par exemple, afin de pourvoir vérifier le devenir de l’animal. Et bien sûr, le rôle de l’éducation de toutes les générations au respect de la vie est incontournable.
Il apparait dans tous les cas que l’euthanasie animale laisse des traces, sur celui qui la décide ou celui qui la donne. La véritable euthanasie, celle donnée à son animal par amour, est un véritable deuil pour sa famille. Mais notre société est paradoxale : elle admet que notre compagnon animal soit devenu un membre de notre famille mais ne reconnait pas le deuil que sa perte implique. Souvent de ce fait, le maître va chercher auprès du vétérinaire et de son équipe le soutien émotionnel dont il a besoin en ces moments difficiles, lorsqu’il a dû décider d’accepter de départ de son compagnon. Et s’il ne reçoit ni écoute ni soutien, son deuil peut devenir pathologique. Le rôle du vétérinaire et de son équipe est à cet effet primordial pour le rassurer dans le choix qu’il a fait, et l’amour qu’il a su apporter jusqu’au bout à son animal, jusqu’à accepter de le laisser partir en sachant qu’il va en souffrir. Mais le praticien n’est que peu équipé dans ce rôle jusqu’à présent : cet aspect de l’euthanasie n’est envisagé dans le cursus que depuis peu de temps, alors que le geste technique est bien sûr toujours acquis. De plus en plus de praticiens cherchent donc à se former comme ils le peuvent, pour compléter au mieux leur expérience et leur empathie naturelle. Peut-être la loi pourrait-elle aussi permettre une journée d’absence consentie par l’employeur à celui qui veut accompagner son animal dans les conditions les meilleures. En définitive, le principal est de pouvoir se dire à la fin « j’ai bien fait », qu’il n’y a pas de faute lorsqu’on agit avec le coeur, autant pour le propriétaire que le vétérinaire.
Car le vétérinaire et son équipe aussi subissent les conséquences de ces actes difficiles émotionnellement : leur rôle est d’aider l’animal à partir sereinement mais aussi d’accompagner sa famille, tout en étant parfois l’objet de leur colère lors du processus du deuil. Il faut faire preuve de compassion sans se laisser déborder par l’empathie, exercice bien difficile malgré les sages mots de Gandhi, « on ne rend pas service à celui qui se boit en se noyant avec lui ». Là encore, le manque de formation pendant les études est à l’origine du refus de certains de pratiquer l’acte d’euthanasie, pourtant partie prenante du soin, mais aussi une cause de reconversion professionnelle. L’accumulation de ces moments difficiles, la fatigue compassionnelle qui s’installe, la sensation d’échec également (car ne plus avoir d’option de soins est un échec pour un soignant), la désacralisation de la vie et de la mort qui en découlent, et la présence de produits euthanasiques à disposition, tout cela peut concourir au burn out et au taux de suicide impressionnant dans la profession (quatre fois plus que la moyenne).
Néanmoins, lorsque l’euthanasie est « réussie », famille et équipe se sentent soulagés, unis dans le souvenir de l’animal qui ne souffre plus, ces moments sont l’occasion de mots et de comportements très touchants venant des pet-parents eux-mêmes, qui sont dans la peine mais pensent à celle de l’équipe et la remercient.
En définitive, la médecine humaine ne connaît pas ce dilemme, à tort ou à raison, mais c’est un acte valorisant quoique ou peut-être parce que difficile éthiquement parlant. Le Dr vétérinaire JP Samaille écrivait : le paradoxe et l’avantage de la médecine vétérinaire est de pouvoir estimer la limite au-delà de laquelle le ticket n’est plus valable. On a tous quelque chose en nous d’Asclepios et de Thanatos. Un dilemme pour le moins inconfortable ». J’ajouterai néanmoins enrichissant éthiquement et émotionnellement.